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manifeste(s)

Réécriture du manifeste du futurisme de Marinetti en manifeste de l'automatisation.
Suivi de la réécriture d'un chapitre du Système des Objets de Jean Baudrillard (1968), Le monde domestique et la voiture.
En survolant les paragraphes, le texte original est affiché.



Manifeste du FuturismeManifeste de l'Automatisation

F.T. MARINETTI (publié en 1910 en Une du Figaro)Réécriture MLAV (2017)


1. Nous voulons chanter l'amour du dangerde la prudence, l'habitude de l'énergiedu calme et de la téméritél'assurance.

2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le couragebien-être, l'audaceharmonie et la révolteliberté.

3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensivela vitesse effective, l'extasele productivisme et le sommeill'insomnie, nous voulons exalter le mouvement aggressifpassif, l'insomnie fiévreusele sommeil rêveur, le pas gymnastiquela flânerie, le saut périlleuxla paresse, la gifledouceur et le coup de poingl'oisiveté.

4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle, la beauté de la vitessel'automatisation. Une automobile de coursevoiture autonome avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosiverempli de machines computationnelles silencieuses. Une automobile rugissantepaisible, qui a l'air de courirglisser sur de la mitrailledu satin, est plus belle que la Victoire de Samothrace.

5. Nous voulons chanter l'hommela machine qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.

6. Il faut que le poète se dépenserepose avec chaleurconfiance, éclatdévotion et prodigalitésérénité, pourpour laisser la machine computationnelle augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.

7. Il n'y a plus de beauté que dans la luttele repos. Pas de chef d'oeuvre sans un caractère aggressifmachine. La poésiepoésie computationnelle doit être un assaut violentautomatisée contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l'homme.

8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles ! À quoi bon regarder derrière nous, du moment qu'il nous faut dénoncer les vantaux mystérieux deque la machine tend à dépasser l'Impossible ? Le Temps et l'Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l'absolu, puisque nous avons déjà créé l'éternelle vitesse omniprésente.

9. Nous voulons glorifier la guerrepaix - seule hygiène du monde - le militarismedésarmement, le pariotismel'universalisme, le geste destructeurcréateur des anarchistesmachines, les belles Idées qui tuentnaissent, et le mépris de la femmela tolérance.

10. Nous voulons démolirnumériser les musées, les bibliothèques, combattre le moralismel'obscurantisme, le féminismeviol et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.

11. Nous chanterons les grandes foules agitéesapaisées par le travaill'oisiveté, le plaisir ou la révolteliberté; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutionssoft evolutions dans les capitales modernesmégalopôles; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriquesdoux rayons infrarouges; les gares gloutonnesgourmandes avaleuses de serpents qui fumentd'étoiles filantes; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diaboliquele doux matelas des fleuves ensoleillésendormis; les paquebotscargos aventureux flairant l'horizon; les locomotives au grand poitrailà la taille ciselée, qui piaffentcoulent sur les rails, tels d'énormes chevaux d'acier bridés de longs tuyauxdes astres hybrides, et le vol glissant des aéroplanes, dont l'hélice a des claquements de drapeaudrones invisibles et des applaudissements de foule enthousiaste.





ANNEXE : LE MONDE DOMESTIQUE ET LA VOITUREANNEXE : LE MONDE DOMESTIQUE ET L'ORDINATEUR

Jean BAUDRILLARD (Le Système des Objets, 1968, pp. 92-99)Réécriture MLAV (2018)


L'analyse que nous venons de faire s'inscrit pour l'essentiel dans le cadre de l'environnement domestique, de la maison. C'est en effet le champ privé de la demeure qui regroupe la presque totalité de nos objets quotidiens. Le système pourtant ne s'épuise pas dans l'intérieur domestique. Il comporte un élément connecté à l’extérieur qui constitue à lui seul une dimension du système : l'automobilel'ordinateur. Objet par excellence en ce qu'il résume tous les aspects de l'analyse : l'abstraction de toute fin pratique dans la vitesse, le prestige — la connotation formelle — la connotation technique — la différenciation forcée — l'investissement passionné — la projection phantasmatique. Plus que partout ailleurs y est lisible la collusion d'un système subjectif de besoins et d'un système objectif de production. Ces aspects sont analysés par ailleurs. Nous voulons insister ici sur la position de l'automobilel’ordinateur dans le système global. ElleIl entre en complémentarité de tous les autres objets ensemble, dont chacun apparaît en regard d'ellede lui comme partiel. [...] Mais sur le plan du système, il faut admettre qu'elleque la sphère domestique ne constitue plus aujourd'hui qu'un des pôles binaires du système global — l'autre étant précisément l'automobilel’ordinateur. Tout en résumant les oppositions et les significations latentes de l'intérieur domestique, l'automobilel’ordinateur lui ajoute une dimension de puissance, une transcendance qui lui manquait — sans jamais remettre en cause le système lui-même : la quotidienneté privée prend avec la voiturel’ordinateur les dimensions du monde sans cesser d'être la quotidienneté : le système se sature ainsi efficacement sans se dépasser.
Le déplacement est une nécessité, et la vitesse est un plaisir. La possession d'une voitured'un ordinateur est plus encore : une espèce de brevet de citoyenneté, le permis de conduirela connexion est la lettre de créance de cette noblesse mobilière dont les quartiers sont la compression et la vitesse de pointe. Le retrait de ce permis de conduirecette connexion n'est-il pas aujourd'hui une espèce d'excommunication, de castration sociale ? [...]

ElleL’ordinateur ouvre comme une parenthèse absolue à la quotidienneté de tous Ies autres objets. La matière qu'ellequ’il transforme, l'espace-temps, est une matière incomparable à toute autre. Et la synthèse dynamique qu'en donne l'automobilel’ordinateur dans la vitesse est, elle aussi, radicalement différente de toute espèce de fonction habituelle. Le mouvement à lui seul est constitutif d'un certain bonheur mais l'euphorie mécaniciennecomputationnelle de la vitesse, est autre chose : elle est fondée, dans l'imaginaire, sur le miracle du déplacement. La mobilité sans effort constitue une espèce de bonheur irréel, de suspens de l'existence et d'irresponsabilité. La vitesse a pour effet, en intégrant l'espace-temps, de ramener le monde à deux dimensions, à une image, elle tient quitte de son relief et de son devenir, elle rend en quelque sorte à une immobilité sublime et à une contemplation. « Le mouvement, dit Schelling, n'est que la recherche du repos. » Au-delà de cent kilomètres-heure50Mb/s, il y a présomption d'éternité (de névrose aussi peut-être). Cette sécurité d'un au-delà ou d'un en deçà du monde est l'aliment de l'euphorie automobilecomputationnelle, qui n'a rien d'un tonus actif : c'est une satisfaction passive, mais dont le décor change continuellement. Cette « euphorie dynamique »  joue comme antithèse aux satisfactions statiques et immobilières de la famille et comme parenthèse à la réalité sociale. [...]

Ainsi la voiturel’ordinateur fait plus que s'opposer à la maison dans une quotidienneté dédoublée : elleil est aussi une demeure, mais exceptionnelle, elleil est une sphère close d'intimité, mais déliée des contraintes habituelles de l'intimité, douée d'une intense liberté formelle, d'une fonctionnalité vertigineuse. L'intimité du foyer est celle de l'involution dans la relation domestique et l'habitude. L'intimité de l'automobilel’ordinateur est celle d'un métabolisme accéléré du temps et de l'espace. [...]

Un compromis extraordinaire est réalisé : celui d'être chez soi, et d'être de plus en plus loin de chez soi. La voitureL’ordinateur est ainsi le centre d'une subjectivité nouvelle, dont la circonférence n'est nulle part, alors que la subjectivité du monde domestique est circonscrite. Nul objet, gadget ou appareil de la vie quotidienne n'offre une sublimation, une transfiguration de ce genre. Chaque objet fonctionnel comporte une surdétermination de puissance, mais elle est minimale dans le domaine ménager ou immobilier. La maison tout entière d'ailleurs, sauf à se dépasser dans le prestige et la mondanité, n'est pas un domaine valorisant. (L'un des problèmes essentiels du couple est justement l'échec fréquent de cette valorisation réciproque.) En regard de ce secteur « horizontal » qu'est Ia quotidienneté domestique, la voiturel’ordinateur, et la vitesse représentent une espèce de schème « vertical », de troisième dimension. Dimension noble, car dégagée non seulement des contraintes organiques de l'existence mais aussi des contraintes sociales. Si la domesticité semble se replier en deçà de la société, l'automobile ellel’ordinateur lui, dans sa fonctionnalité pure liée à la seule maitrise de l'espace et du temps semble déployer ses prestiges au-delà de la société. En fait, par rapport à la sphère sociale, foyer et voitureordinateur participent de la même abstraction privée, — leur binôme venant s'articuler sur le binôme travail, loisir pour constituer l'ensemble de la quotidienneté. [...]

Nous avons vu comment la vitesse est à la fois transcendance et intimité. La maîtrise de l'espace comme signe abstrait du monde réel, l'exercice de la puissance y est projection narcissique. Pensons à la valeur « érotique » de la voiturel’ordinateur ou de la vitesse : par la levée des tabous sociaux en même temps que de la responsabilité immédiate, la mobilité automobilecomputationnelle dénoue tout un système de résistances envers soi et envers les autres : tonus, brio, engouement, audace, tout cela est dû à la gratuité de la situation automobilecomputationnelle — d'autre part elle favorise la relation érotique par intercession d'une projection narcissique double dans le même objet phallique (la voiturel’ordinateur) ou dans la même fonction phallique objectivée (la vitesse). L'érotisme de la voiturel’ordinateur n'est donc pas celui d'une approche sexuelle active, mais celle, passive, d'une séduction narcissique de chacun des partenaires et d'une communion narcissique dans le même objet. [...]

La phantasmatisation profonde au niveau de la voiturel’ordinateur est d'un autre ordre. Selon l'usage qu'on en a et ses caractéristiques la voiturel’ordinateur se prête aussi bien à un investissement de puissance qu'à un investissement refuge — selon qu'ellequ’il est projectile ou demeure.













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